Vie de bureau.

Ces temps-ci, je passe ma vie dans les centres d’achats du centre-ville de Montréal.  Mais laissez-moi immédiatement clarifier un point : je déteste magasiner.  Ce n’est donc pas pour effectuer des achats compulsifs que je me retrouve tous les jours devant des vitrines parsemées de déshabillés féminins.

Vivant depuis quelques mois une ambiance de travail digne de la célèbre série Vie de bureau, (et aussi parce que, pour moi, les cafétérias de job ont toujours été un incitatif à aller me pendre dans les WC), je dois fuir tous les midis vers des endroits plus cléments.

Tel un SDF, je déambule dans les couloirs du Montréal souterrain, café Starbucks en main (à 5,50 $ le latté, ça élimine donc toutes les possibilités de passer pour un REAL SDF en quête d’Institut), dans l’espoir de retrouver un sens au terme « heure de dîner ».

Le Centre Eaton est paisible.  Cette déclaration peut paraître absurde si l’on considère le nombre astronomique de personnes qui peuvent y circuler à chaque jour.  Mais oui, depuis quelques mois, il l’est.  La déco y est pour beaucoup.

Des arbres en carton s’élèvent le long des ascenseurs.  Des bancs de poissons en plastique errent sous la surface d’un étang tandis que des saumons de papier bulle remontent les cascades qui dévalent les escaliers roulants…

C’est doux, c’est lumineux, c’est aquatique…

C’est Fragile, la dernière oeuvre de Roadsworth.

… de me dire une exubérante barista, le carré rouge des étudiants pro-grève fièrement épinglé sur son uniforme.

– Roadsworth ?
– Ouais, mais ça achève…  Ils vont tout enlever la semaine prochaine.
– Pis la grève étudiante, tu penses qu’elle va durer encore longtemps ?
– Je m’en fous.  Ça me permet de travailler et de ramasser plus de cash !

Depuis quelques mois, le Centre Eaton de Montréal est transformé en véritable écosystème avec l’aide de produits sélectionnés dans ses propres conteneurs à recyclage : bouteilles d’eau en plastique, boîtes de carton, cintres métalliques et feuilles de papier…

Roadsworth est un street-artist canadien de catégorie « à connaître » originaire de la ville de Toronto, mais résidant désormais à Montréal.  Il a débuté sa carrière professionnelle en 2001, dans sa ville d’adoption, en détournant les aménagements automobiles trop présents pour cet ardent défenseur du vélo urbain.  Son art dénonce l’omniprésence de la culture de l’automobile.  Il donne un nouveau sens, une nouvelle lecture à la signalisation automobile et rend ainsi l’espace public plus amusant, surtout pour les cyclistes et les piétons qui, eux, ont le temps de le regarder.

En 2004, ses activités l’ont conduit à une arrestation qui aura eu le mérite d’accroître sa notoriété.  Suite à cet événement, de nombreuses personnalités publiques le contactent pour passer des commandes.  Depuis, son oeuvre ne se contente plus uniquement de détourner la signalisation routière.  C’est bien la ville entière qui devient victime de son imagination.

Fragile, l’installation de Roadsworth se déployant sur les cinq étages du Centre Eaton, sera visible jusqu’au 11 mars.

Le 11 mars, c’est très bientôt.  Désolé de vous presser, mais bon.  Disons que j’ai eu une « émotion tardive ».

Quelle est votre émotion :